Les capacités de l'homme à courir ont évolué pour faire face aux prédateurs qui rivalisaient avec lui peur la nourriture. C'était avant que notre cerveau se développe et que nous soyons capables de réfléchir au moyen de nous sortir des difficultés. Ceux qui étaient capables de courir plus vite étaient non seulement les premiers à se servir et à s'approprier les portions les plus grosses et les plus nutritives, mais étaient également les plus rapides à fuir en cas de danger. Ceux qui étaient incapables de courir étaient invariablement les premières victimes par leur incapacité à obtenir assez de nourriture ou parce qu'ils manquaient de temps pour manger, ou parce qu'ils devenaient eux-mêmes la proie de prédateurs de par leur manque de mobilité.
Il pourrait être intéressant de conjecturer sur la vitesse à laquelle nos ancêtres auraient été capables de courir s'ils n'avaient pas développé leur cerveau et appris par la ruse à éviter le danger. Cependant, l'utilisation de notre intelligence pour fabriquer des armes pour la chasse a rendu nos ancêtres moins dépendants de la vitesse pour leur survie, et l'aptitude à courir d'arrache-pied devint moins une question de nécessité que de vertu. Dans ces temps anciens, les communautés étaient largement tribales et leurs chefs devaient surpasser les autres par leurs compétences. L'aptitude à courir vite tenait une part prédominante dans cette recherche du respect qui s'acquerrait pour beaucoup par la compétition dont pouvaient faire partie les courses. Les survivants finirent par transmettre à leur progéniture leur constitution génétique qui procurait des jambes rapides, et comme il était toujours nécessaire de courir vite, l'évolution des coureurs plus rapides continua. A cette période, avoir un haut du corps puissant était généralement plus nécessaire qu'être agile, si bien que la morphologie de ces hommes pour lesquels la course à pied était devenue une aptitude moins importante de leur vie quotidienne ne ressemblerait probablement pas à celle de nos actuels champions de course à pied.
Vivant dans l'effort physique, ils avaient certainement un physique plus proche de l'adepte des salles de gym, qui travaille régulièrement sur un large programme d'exercices en évitant la répétition spécifique à un sport.
À un certain moment, la course à pied a évolué vers d'autres usages. Si les chevaux étaient le principal moyen de transmission des messages, il arrivait parfois que des humains soient plus efficaces. Il y a quelque 2 500 ans, Phidippidès courut de Marathon à Athènes pour annoncer la victoire d'une bataille qui opposait les Athéniens aux envahisseurs perses, même s'il ne fit rien pour promouvoir l'activité comme sport de loisirs puisqu'il tomba raide mort à la fin de sa course. De nos jours, un marathon est organisé chaque année au pays de Galles pour savoir qui des deux, homme ou cheval, est le plus rapide. Ces civilisations antiques étaient capables d'apprécier le sport, et un exemple en est l'organisation des jeux Olympiques antiques, qui honoraient les dieux grecs et comportaient des courses à pied sur différentes distances. Ils durèrent jusqu'en 394 après J. C., et furent finalement interdits en raison de leurs origines païennes.
Jusqu'à des temps relativement récents, les femmes ne courraient pas partout autant que les hommes, en partie parce qu'elles ne participaient pas aux mêmes types d'activités fourragères ou défensives : on attendait plutôt d'elles qu'elles mettent au monde des enfants, normalement autant que possible et l'un après l'autre, Leur temps était alors consacré à nourrir leur progéniture et à leur apprendre les aptitudes rudimentaires nécessaires à leur survie jusqu'à ce que les hommes mûrs prennent la relève avec un apprentissage plus avancé. L'aptitude à courir vite peut avoir continué d'être nécessaire pour éviter le danger, bien que les progrès des moyens de transport en aient atténué, là aussi, la nécessité.
Il est extrêmement difficile de prouver la présence de courses sur le plan compétitif, ou non, entre l'époque romaine et le Moyen Âge. De telles courses ont pu parfaitement avoir lieu, mais elles n'ont jamais été enregistrées par les scribes de l'époque qui avaient à faire la chronique de choses bien plus importantes, si bien qu'elles se sont perdues dans les brunies de l'histoire. Une fois leurs bases de vie établies, les peuples de l'époque étaient plus concernés par la conquête de territoires et la religion que par des épreuves qui avaient peu de chances d'améliorer leur quotidien. Si du temps était gardé pour le loisir, la course à pied était sans aucun doute en compétition avec des épreuves de lancers ou de lutte, d'habileté avec les armes ou avec les inévitables concours de descente d'alcool.
Certains textes du xiv" siècle contiennent des références à des courses à pied organisées en terrain ouvert, et il semble prouvé que la compétition se soit développée à partir de jeux basés sur la chasse. Le xvi siècle vit la naissance d'un nouveau sport dans lequel deux ou plusieurs cavaliers faisaient la course jusqu'à un clocher éloigné. Au xix siècle, de simples courses à pied appelées steeple-chase (littéralement, en anglais, course au clocher) furent créées sur ce modèle. Elles furent par la suite organisées par les écoles et universités privées au Royaume-Uni, qui organisaient aussi des jeux de piste dans lesquelles un « lièvre » (banc, en anglais) laissait une piste de papier pour que les « chiens » le suivent. Cela conduisit à la création des Harrier Clubs regroupant les amateurs de course à pied sur route et cross- country, qui existent encore de nos jours. De nouveau, les femmes ne jouèrent aucun rôle dans cette convention sociale, sous prétexte que c'était inapproprié et dégradant pour les dames de la haute société. Quant à la majorité des autres femmes, elles étaient trop occupées à simplement essayer de survivre.
Au cours de la seconde moitié du xvi siècle, les concours de marche à pied entre domestiques de gentilshommes cédèrent la place à des cour- ses contre la montre sur de plus longues distances. Une des épreuves les plus populaires était de parcourir au moins 100 miles (160 kilomè- tres) en moins de 24 heures. Ceux qui y arrivent sont encore appelés « centurions » en souvenir de l'époque romaine. D'autres compétitions demandaient de parcourir 1,6 kilomètre par heure pendant 1 000 heures de suite (soit plus de 40 jours d'affilée !). Le début du xix' vit le retour des courses entre hommes, et les épreuves de ville à ville, objet d'importants paris, devinrent le sport le plus populaire en Angleterre.
Les gagnants de ces courses étaient ceux qui s'étaient adaptés aux conditions environne- mentales souvent terribles et au manque de diversité nutritionnelle de l'époque. Les maladies étaient répandues, l'espérance de vie courte et le régime alimentaire reposait dans l'ensemble sur ce que les vivres locales saisonnières pouvaient offrir. Tout entraînement à ces épreuves, tel que nous le connaissons au xx siècle, était inexistant et les coureurs à pied consommaient de grandes quantités de viandes souvent crues et d'alcool avant et pendant la compétition. En fait, l'entraînement spécifique à une course était considéré comme un obstacle aux performances car il pouvait épuiser leur énergie. Ce n'était pas qu'ils n'étaient pas en bonne condition physique puisque les concurrents venaient des classes laborieuses pour lesquelles une journée de 12 heures de dur labeur était le lot quotidien, plutôt que des rangs plus maigres des travailleurs sédentaires.
L'arrivée des jeux Olympiques modernes attira peu l'attention de la majorité de la popula- tion mondiale qui n'avait aucun moyen d'y participer ou de jouir du spectacle, même si elle en connaissait l'existence ; jusqu'au coeur du xx siècle, les jeux Olympiques restaient la prérogative des riches et autres oisifs, qui dédaignaient toute préparation aux épreuves. Certains pionniers comme Paavo Nurmi et Hannes Kolehrnainen se penchèrent sur la manière d'améliorer leurs performances en course à pied et eurent recours à une science du sport des plus rudimentaires. Ce ne fut que dans la seconde partie du xx' siècle que des disciplines qui pouvaient être reconnues comme scientifiques s'appliquèrent à la course à pied, comme celles pratiquées par Arthur Lydiard. Lydiard était différent : il s'entraînait en même temps que ses protégés, leur demandant. de ne pas faire plus ou moins de kilomètres que lui et leur faisait suivre un programme d'entraînement qui attira la curiosité. C'était la méthode LSD (Long Slow Distance ; Longue distance à faible intensité) pour tout le monde. Percy Cerutty, quant à lui, se servit de nouvelles techniques comprenant la course sur dunes pour faire remporter à ses élèves des médailles d'or olympiques.
La course à pied et la science ont entretenu une relation symbiotique, les coureurs étant devenus les cobayes involontaires des tests physiologiques. Lorsque les statistiques montrèrent que les coureurs déviaient des valeurs normalement attendues, les scientifiques se mirent à se servir des résultats pour expliquer la physiologie du coeur, de la circulation, des poumons et autres organes. L'extrapolation des découvertes e permis de faire des progrès dans de nombreuses spécialités médicales. À cela, se sont ajoutés les progrès en diététique. Dans sa forme basique, la diététique permet d'éviter à un coureur les conséquences d'un trop gros repas avant l'exercice. Mais les athlètes de haut niveau l'utilisent de manière sophistiquée, en suivant souvent un programme diététique complet qui fait partie intégrante de la préparation de leur saison. La médecine n'aurait jamais pu se développer comme elle l'a fait sans l'aide des coureurs, tout comme les coureurs n'auraient jamais pu courir aussi vite sans la science du sport.
La course à pied n'a commencé à faire les titres des journaux en tant que sport populaire qu'après la publicité de masse et la couverture télévisuelle qui accompagnèrent les marathons de New York et de Londres à la fin des années 1970. Un grand nombre de débutants participaient à ces compétitions où il était plus question de trotter à un rythme un peu plus rapide que la marche que de courir vite. Il serait exagéré d'appeler la majorité des participants des concurrents. Ce genre de manifestation ne fut pas seulement toléré mais encouragé, car ces courses à pied donnaient à la fois l'occasion de lever des fonds caritatifs et de faire un défilé de tenues vestimentaires.
En termes de vitesse, les gagnants de ces épreuves étaient ceux qui s'étaient préparés au mieux tant physiquement que mentalement. On remarqua que les coureurs les plus rapides avaient rarement un excédent de poids et la perception de la course comme d'un bienfait pour la santé augmenta d'autant plus que les découvertes scientifiques prouvaient que l'obésité et la sédentarité réduisaient l'espérance de vie. Les gagnants des courses avaient couru pour la plupart de nombreux kilomètres en entraînement avant la compétition, même si un kilométrage extrêmement excessif, comme ce fut le cas pour le détenteur du record mondial du 10 000 mètres, Dave Bedford, pouvait entraîner des blessures douloureuses et fatales pour la carrière. On comprit que bien courir n'était pas juste une question de quantité, mais que la qualité du kilométrage était également un facteur décisif. Ainsi sont nées de nombreuses théories sur les programmes d'entraînement optimaux, aucun n'ayant encore prouvé à ce jour sa supériorité en toutes circonstances.